IL Y A 40 ANS, DISPARAISSAIT LEONID BREJNEV
Ce 11 novembre 1982, la télévision soviétique, déjà en mode deuil national depuis 24 heures, annonçait le décès du Secrétaire Général du Parti Communiste de l’Union Soviétique et Chef de l’État soviétique, Leonid Ilitch Brejnev. Les commémorations sont toujours l’occasion non seulement de tirer des bilans, mais encore d’éclairer le moment présent. À son décès, Brejnev occupait sa fonction depuis 1964, soit, la période la plus longue après Staline. Rien ne laissait présager, chez cet homme pourtant malade, une disparition subite. Le 10 novembre au matin, l’officier d’intendance chargé de réveiller le Secrétaire Général, découvre un homme inanimé mort depuis peu. Le médecin Evguenii Chazov conclura à une crise cardiaque. Le 7 novembre encore, le chef de la deuxième puissance mondiale était à la tribune du mausolée pour présider aux festivités commémorant le 65e anniversaire de la Grande Révolution Socialiste d’Octobre qui n’était en réalité qu’un vulgaire coup d’état bolchévique.
Pourtant, en Russie et en ex-URSS, les nostalgique de cette époque Brejnev pourtant appelée période de “stagnation” au moment de la pérestroïkasont nombreux. Dans son interview donnée à Livre Noir, Katia Kopylova parlait même d’“époque bénie.” C’est oublier un peu vite combien les tensions ont été nombreuses et vives.
Sur le plan international, l’URSS a considérablement attisé de nombreux foyers de tension. On pense notamment au Vietnam ou à l’Amérique centrale. L’URSS n’a pas non plus été en reste en Afrique où elle n’a pas épargné ses efforts pour étendre sa sphère d’influence. En Asie centrale, on ne peut oublier la désastreuse campagne d’Afghanistan qui contribuera certainement à l’effondrement de l’URSS. Avec la Tchécoslovaquie, puis la Pologne, l’Europe a connu son lot de malheur communiste.
Sur le plan national non plus, l’appareil répressif n’a pas faibli sous Brejnev. C’est le régime de Brejnev qui a durement réprimé Andrey Sakharov et surtout Soljénitsyne. L’académicien Sakharov sera contraint à de longues années d’exil intérieur à Gorky, (redevenue depuis “Nijni Novgorod”), tandis que l’auteur de l’archipel du Goulag devra s’expatrier en Suisse puis aux États-Unis. On ne compte pas les intellectuels et autres artistes sur qui s’est abattue la main de fer d’un régime avec à sa tête un vieux gâteux alcoolique et dépressif.
Cela dit, on ne peut faire l’économie de la question de savoir pourquoi la nostalgie bréjnévienne est si vivace encore aujourd’hui. On peut, comme certains le font abondamment, la juger à l’emporte-pièce, mais on se priverait de comprendre de nombreux tenants et aboutissants nécessaires à la lecture de l’actualité de la Russie d’aujourd’hui. Pour beaucoup de Soviétiques, Brejnev représentait une stabilité d’acier. Le pays semblait solide et bien protégé des agressions extérieures. Beaucoup de Soviétiques étaient loin de se douter combien l’appareil politique et économique était délabré, rongé par la corruption, les dysfonctionnements de la planification ou encore les tentions ethniques. En effet, faire tenir ensemble 280 millions d’habitants dans un état hyper-centralisé et pourtant le plus étendu du monde n’était certainement pas une sinécure. Pour autant, si on veut comprendre, on ne doit pas ignorer que le pays s’était doté d’un système social certes peu performant dans de nombreux domaines, mais tout de même assez fiable. Les pénuries de biens de consommation étaient partiellement au moins compensées par des syndicats puissants (l’équivalent chez nous des comités d’entreprise). Les droits et privilèges de certaines catégories de la population étaient réels. En outre, le pays très fermé donnait une impression de puissance qui faisait qu’il était craint et respecté sur le plan international. Ce prestige fait de puissance et de mystère, s’est effondré d’un coup avec le système. Or l’engouement pour l’occident survenu avec l’ouverture de la pérestroïka n’a reçu comme réponse qu’irrespect et arrogance. Ainsi, l’occident a tenté de mettre le pays en coupe réglée avec la complicité des mafias locales, tout en fourguant à la population des produits de mauvaise qualité en s’appuyant sur la crédulité de ces nouveaux consommateurs.
Enfin, l’URSS, pour beaucoup, c’était la paix. Nombreux sont ceux qui pensent qu’au moins, une certaine concorde régnait entre les gens, sans tenir compte des origines. Même si beaucoup n’analysent pas que la concorde tenait aussi grâce à la chape de plomb imposée par le régime, on trouvera beaucoup de gens pour considérer, sans qu’on puisse leur donner totalement tort, que si l’URSS n’avait pas cessé d’exister, les malheurs du moment ne seraient jamais advenus. Ajoutons à cela que bon nombre de gens plutôt âgés ont été contraints de prendre un virage trop important pour eux. Certains, parmi les plus modestes, avec la fin de l’URSS, ont subi un véritable effondrement social. Le pays a subi une crise économique qui a mis sur la paille beaucoup de gens vulnérables. Tous ceux-là forment un terreau de nostalgie sur lequel le Pouvoir actuel sait s’appuyer. Poutine sait en effet parler à ses gens. Cependant, il n’est pas le seul. Car bon nombre de politiciens en occident savent agiter l’épouvantail du retour de l’Union Soviétique prétendument rêvé par Poutine. Mais même si Poutine est plus virulent dans sa volonté de dénazification que de décommunisation, faire croire qu’il va restaurer l’URSS n’est tout simplement pas sérieux. Ce qui est en revanche vrai, c’est que Poutine a su redonner à la population une certaine prospérité ainsi qu’une certaine fierté. Or la population y est d’autant plus sensible qu’après l’effondrement de l’URSS, l’occident a tenté de la spolier de son héritage culturel, de ses biens matériels et de son prestige, tout ça sous couvert de réformes démocratiques. Gorbatchev l’a du reste appris, un peu tard à ses dépends. Comme je dis toujours, “Gorbatchev, c’est ceux qui l’ont trahi qui en parlent le mieux”.
En 40 ans, les progrès réalisés par la Russie forcent l’admiration. Poutine a bien compris que l’URSS appartenait définitivement au passé et que la mort récente du dernier survivant du Politbureau qui suivait le cercueil du camarade Brejnev avait tiré définitivement le rideau. Mais tandis que le bolchévisme n’en finit pas d’agoniser en Russie, il est, – chose incroyable – bien vivant chez nous! Ses techniques de désinformation, d’inquisition politique et de harcèlement des dissidents, sont elles bien vivantes. Or si Brejnev repose parmi un tas d’ossements au pied du mur du Kremlin, le virus du communisme a muté et en a profité pour passer à l’ouest. Mais reconnaissons au moins au communisme de papa, et ce en dépit de son odieuse brutalité, le fait de ne pas nous avoir entraîné vers des dérives sociétales de nature à accélérer notre destruction si nous n’y prenons pas garde.
Enfin, comment ne pas évoquer la figure du Brejnev 2.0 qui siège au bureau ovale à Washington. Cet homme qui semble vivre hors du temps ne cesse de nous rappeler que c’est désormais chez nous que le bolchévisme est bien vivant avec ses atours d’autrefois.
Jacques Frantz