Impressions rurales
Lecteur, qui que tu sois, je sais que tu pardonneras volontiers mon silence lorsque tu sauras ce que j’ai fait de ces jours d’oisiveté scripturale.
En effet, j’ai notamment mis à profit cette période pour ce qu’on appellerait à juste titre une mise au vert, sillonnant, humant et découvrant la magnifique région de Gascogne. Je savais, pour m’y être déjà rendu à plusieurs reprises, que cette région abritait un patrimoine naturel, historique, architectural, culturel et culinaire exceptionnel. C’est d’ailleurs le cas de bien des régions de notre beau pays, et comment pourrait-il en être autrement d’un pays si attaché à son histoire, à ses racines…
Pourtant, j’ai aussi été saisi par le décalage entre cette richesse et la désertification de nos campagnes, partout visible, qui semble inexorable. Alors que nos médias bien pensants préférés nous abreuvent de reportages toujours plus nombreux et saisissants sur nos terroirs, nos régions, nos villages, laissant croire au bon peuple des villes qu’il suffit d’un peu de compassion pour sauver un village de la disparition, nos campagnes se vident au profit d’un habitat périurbain sans âme qui attirent, toujours plus nombreux, les citadins qui pensent échapper (pour combien de temps encore) à l’insécurité et aux autres nuisances des villes, et aussi à leurs loyers exorbitants, quitte à parcourir chaque jour des dizaines de kilomètres en voiture pour aller travailler.
Ce n’est pas que je regrette la France d’avant, la France paysanne du début du XXe siècle ou même du XIXe siècle. Cette France-là aussi était en proie à d’incessants soubresauts liés à toutes sortes d’événements et aussi aux remembrements successifs qui jetaient sur les routes des communautés entières. On y mourait plus jeune, on y mangeait moins bien. Certes, on y avait des repères, des valeurs, des croyances, et ça, c’était bien. On peut évidemment déplorer leur érosion qui s’accélère aujourd’hui dangereusement.
Non, la nostalgie d’un temps que je n’ai pas vécu n’a pas imprégné mon séjour, mais ce qui m’a frappé, c’est l’abandon dans lequel vivent des territoires entiers et aussi l’énergie que déploient leurs habitants pour les empêcher de mourir. On déverse des millions pour sauvegarder des façades, des bâtiments, des églises.., on classe au patrimoine mondial de l’humanité et on fait semblant de vénérer une histoire qu’en réalité, nos élites méprisent. Certes, il vaut mieux préserver que ne pas préserver, mais sillonnez nos campagnes, et vous comprendrez aisément qu’on est en train de faire d’elles un musée géant pour touristes en mal d’authenticité alors que les activités économiques qui s’y étaient développées périclitent lorsqu’elles n’ont pas totalement disparu: ici une grande halle désaffectée, là une manufacture fermée depuis longtemps… Décidément, la concurrence internationale à laquelle nous sommes livrés ne nous laisse guère de chance, et il nous faut d’urgence tout réinventer sous peine de faire de notre pays la vitrine éblouissante d’un monde disparu.
A. de Malte
Merci de cet article qui tranche avec le ton des récents articles de ce blog. Pour autant, le sujet n’en est pas moins très grave. À titre personnel, je n’ai aucun scrupule à faire montre de ma nostalgie. « Il est toujours joli le temps passé » disait la chanson. Sans aller jusque-là, je n’hésite jamais à dire « c’était mieux avant » quand effectivement, c’était mieux avant. Et lorsque je vois que le plan mondial de mondialisation c’est faire du continent européen le continent des services, le continent asiatique le continent des usines et le sud du continent américain le continent agricole, je suis obligé de constater que c’était mieux avant.
Quand le désordre règne, on a toujours un peu la nostalgie de l’ordre. Quand le malheur règne, on a toujours un peu la nostalgie du bonheur.
J.F.