Moins d’un mois après Margaret Thatcher, voici que Giulio Andreotti part pour ce voyage pour lequel on ne prend ni armes ni bagages. On l’avait presque oublié celui-là! On avait surtout oublié qu’il était mortel tant il était inoxydable. La veille de sa mort, je me suis surpris encore à m’étonner qu’il soit encore vivant. Bref, ce n’est plus le cas. Si la presse italienne (journaux et télévision) a abondamment couvert cette page de l’histoire qui se tourne, dans la presse étrangère c’est à peine si on a vu quelques entrefilets. En tous cas c’est sans comparaison avec la couverture nécrologique réservée à la dame de fer. Donc l’homme d’inox fait moins vendre que la dame de fer. ET pourtant, celui qui s’en va ce 6 mai 2013 n’était pas moins impitoyable. Contrairement à Mme Thatcher Andreotti nous laisse des regrets. Andreotti mort, c’est une bibliothèque qui brûle. Une bibliothèque de coups tordus, d’histoires de barbouzes, mais une bibliothèque quand même. Qu’on soit ou non d’accord avec Margaret Thatcher, force est de reconnaître qu’elle a marqué de son empreinte l’histoire de son pays et de l’Europe. Presqu’un quart de siècle après sa démission son souvenir (en bien ou en mal) est toujours vif. Andreotti qui a pourtant exercé des fonctions analogues plus longtemps que Margaret Thatcher ne laisse aux Européens qu’un souvenir vague et, j’ose le dire, terne. Pourquoi? Pour trouver la réponse, il faut comparer les deux personnalités qui, soit dit en passant, ne s’entendaient guère. D’un côté nous avons en Margaret Thatcher un véritable Homme politique. Un Homme politique qui, ce qui ne gâche rien, est incarné par une femme de grande conviction. Encore une fois on peut être en parfait désaccord et reconnaître voire, pour les plus intelligents, respecter la femme qui a agi selon ses convictions et avec une véritable vision pour son pays. En face, nous n’avons pas un homme, nous avons un animal politique. Nous avons un petit chien qui se tient tapi sous la table ramassant les miettes que laissent choir ses adversaires. Car ne nous y trompons pas, pour Andreotti, tout le monde était un adversaire potentiel. Si un adversaire tombait à terre, le chien était dessus, prêt à le dévorer avant qu’il n’ait pu même songer à se relever. Andreotti était de ces crocodiles dissimulés entre deux eaux qui se confondent avec la végétation, mais qui vous attrapent une jambe et vous attirent au fond de l’eau à peine vous le touchez. Pourtant, le cercueil à peine refermé, nous avons des regrets. On aurait tellement voulu savoir. On aurait voulu connaître enfin la vérité sur les liens de l’ancien président du conseil italien avec la mafia. ET puis, Andreotti mort, on se dit qu’on ne saura jamais la vérité sur Aldo Moro. Aldo Moro est une plaie qui ne se refermera jamais tout à fait précisément parce qu’on ne sait pas. Précisément parce que trop de questions restent sans réponses. Andreotti pouvait-il sauver Moro et à quel prix? Andreotti ne l’a-t-il pas fait pour des raisons d’Etat ou pour des raisons bassement politiciennes? Dans le premier cas, on comprend parfaitement que Giulio Andreotti n’a pas voulu céder à des communistes fanatisés capables de séquestrer un homme de 63 ans pendant plus d’un mois et demi et de l’abattre comme un chien pour des raisons idéologiques. On peut comprendre que malgré les lettres poignantes de Moro implorant que tout soit fait pour sa libération Andreotti n’ait pas voulu accéder à la demande de libération des terroristes des brigades rouges alors emprisonnés. Seulement voilà il y a les autres questions. Andreotti a-t-il dévié la cible des brigades rouges contre Moro alors qu’il est clair qu’il était le premier visé par l’organisation d’extrême gauche? Andreotti aurait-il habilement joué de cet événement pour éliminer un adversaire qui lui, avait une vision pour son pays, qui était promis aux plus hautes fonctions, qui semblait être le successeur tout désigné de Giovanni Leone à la présidence de la république? Andreotti a-t-il voulu éliminer en Moro tout ce que lui-même n’était pas? Andreotti a-t-il voulu éliminer le visionnaire? L’homme capable de parler avec l’adversaire modéré pour le bien du pays? Andreotti avait-il les moyens de localiser Moro et de le sauver? Une chose est claire cependant: il est ressorti renforcé politiquement sans pour autant que même mort, Moro ne continue de lui faire de l’ombre. La preuve, c’est à lui qu’on pense au moment de la mort d’Andreotti. Gageons cependant que l’homme qui savait mais qui n’a rien dit aura laissé sur la table de chevet de son lit de mort les clefs des placards où on trouvera les cadavres par lesquels il compte, par-delà la tombe, influer encore dans le jeu politique de cette pauvre Italie. Si Moro s’en est allé en pleine lumière, Andreotti lui s’en ira par un soupirail de l’histoire avec ses secrets. Jacques Frantz