EN 2023 LA PAIX EN UKRAINE EST-ELLE POSSIBLE? (Partie 4)

EN 2023 LA PAIX EN UKRAINE EST-ELLE POSSIBLE? (Partie 4)

IV. Peut-on espérer une négociation?

On l’a vu, depuis 1991, les États-Unis ont profité de la fin de l’URSS pour étendre leur influence à l’infini. Voilà de quoi faire regretter à certains l’Union Soviétique. C’est en effet bien beau de hurler à la nostalgie de l’URSS, mais convenez avec moi que profiter de la situation pour faire descendre un pays de son piédestal de grande puissance a de quoi rendre nostalgique une grande partie de la population. Ajoutez à cela un véritable effondrement économique et une disparition de nombreux acquis sociaux, et il ne faut pas s’étonner de ce que certains regrettent le « bon vieux temps ». Loin de moi l’idée qu’ils ont raison. Je me suis assez battu contre le communisme pour ne pas pleurer la disparition du régime Soviétique. Cependant, contrairement à ce qui s’est passé en Europe de l’ouest après la guerre, les États-unis ont à peu près tout fait pour se faire détester. Car tout au long de la période soviétique, la Russie a su conserver un certain patriotisme, ce dont les Anglo-saxons ont horreur et ce qu’ils cherchent à éradiquer dans tous les pays où ils passent. À l’inverse, dans les autres pays de l’ancien bloc de l’Est, les Anglo-saxons ont eu beaucoup moins de mal à se faire accepter. D’une part, ils étaient vus en libérateurs du joug soviétique, et d’autre part ils arrivaient dans des pays où la culture patriotique était moindre dans la mesure où toute l’adoration était dévolue au “grand frère”. Donc malgré la main-mise des Américains sur la Russie durant la période Eltsine, une grande partie des dirigeants russes et l’opinion publique ont toujours gardé l’idée d’une sphère d’influence appelée “l’étranger proche”. Le gros problème est que les Américains et l’OTAN ont perdu toute raison en ne tenant pas compte de ce paramètre.
L’arrivée de Poutine a permis un rétablissement de l’ordre en Russie. De même, elle a permis aux Russes de retrouver une certaine fierté perdue à cause des déconvenues politiques et économiques de la période Eltsine. Voilà pourquoi l’étendue de l’OTAN est inacceptable aujourd’hui aux yeux des Russes. En outre, Poutine est parvenu non sans mal à stabiliser le foyer tchétchène où les Américains n’ont pas ménagé leurs efforts en y important tout ce que le monde comptait de mercenaires islamistes rêvant du Khalifa. Les États-Unis, s’ils étaient gouvernés par des dirigeants raisonnables, devraient comprendre que la Russie ne peut se permettre de voir disparaître son influence. C’est donc la confrontation. Le plus moche de l’histoire est que l’otage est ukrainien et qu’il paie un très lourd tribu, même si, pour ne pas hériter d’un champ de ruines, les Russes avancent en tentant de faire le moins de pertes possibles.
C’est pourquoi les Russes ne demandent pas mieux que de négocier. Mais bien évidemment, il est facile aux Américains d’encourager voire de contraindre l’Ukraine à tenir ferme, vu que, comme d’habitude avec les Américains, la guerre se trouve loin de leurs bases. Est-ce à dire que les Américains sont prêts à sacrifier jusqu’à la dernière goûte de sang ukrainien? C’est fort probable. Car les États-Unis ne sont pas là pour gagner la guerre, mais pour que la guerre dure. Comme on l’a vu, tant que la guerre dure, les compteurs tournent.

Une percée russe qui se fait attendre.

Un peu comme en 14, nous assistons (toute proportion gardée) à une guerre de position. Depuis le coup d’état de Maïdan, les positions militaires ukrainiennes se sont considérablement renforcées. Nous le savons aujourd’hui, les Accords de Minsk n’étaient qu’un stratagème des occidentaux pour gagner du temps et permettre à l’Ukraine de consolider ses installations militaires. Sauf que malgré la prise de certaines villes ou l’abandon de ces dernières par les Russes, les Ukrainiens ont militairement peu profité de leurs victoires. Sans parler de “victoire à la Pyrrhus”, cela ne pèsera pas bien lourd dans une éventuelle négociation. Le malheur est que plus on attend pour négocier, moins il restera de choses à négocier. Car même si je fais partie de ceux qui croient que les référendums de Kherson et de Zaporojé étaient prématurés, je persiste à penser que les Ukrainiens ne sont pas vraiment en position de force, d’autant que les Américains ne sont pas un allié fiable.
En outre, le coup spectaculaire de Makeevka où plusieurs dizaines (plusieurs centaines disent les Ukrainiens) de soldats récemment mobilisés ont trouvé la mort pourrait forcer le Président Poutine à frapper plus tôt et plus fort. Sinon, l’opinion publique russe pourrait commencer à se lasser de sa modération. Oui, parce que contrairement à ce qui est dit en occident, Poutine est très modéré. Poutine ne veut pas conquérir un champ de ruines. Cela dit il est à peu près clair pour tout le monde que la frappe contre la caserne de Makeevka n’est pas une frappe ukrainienne, mais une frappe américaine. Pour s’en convaincre, il suffit de voir avec quelle précipitation le régime de Kiev a revendiqué le forfait. Et cela pourrait peser très lourd si la Russie perdait patience et tenait à juste titre les Américains pour responsables de ce qui s’est passé.
Même si je pense que la négociation entre la Russie et les États-Unis a probablement commencé en secret, pour des négociations plus officielles, la balle est dans le camp des Américains. Reste à savoir comment les Américains vont sortir de la situation.
Certains disent que la négociation doit passer par un changement de régime à Kiev. Difficile à dire, mais le manque de sérieux des dirigeants de Kiev quand Zelensky dit qu’il ne peut négocier avec Poutine parce que Poutine est un nazi, ou encore que la Russie doit être exclue de l’ONU est bien la preuve que le régime n’est pas un interlocuteur sérieux. Cela dit, les Américains n’auront aucun scrupule à lâcher leur ami Zelensky. Tout allié des États-Unis est tôt ou tard lâché en race campagne. Demandez à Sadam Hussein ou, (ce sera plus facile), à Hamid Karzaï.
Alors que peu après le début de l’opération spéciale des négociations avaient débuté, le camp occidental est allé voir Zelensky pour lui intimer l’ordre de continuer le combat. À ce moment-là, si l’on fait exception de la Crimée qui est un cas à part, l’intégrité territoriale de l’Ukraine était pleinement respectée et de nombreux combattants seraient aujourd’hui vivants. Il est très facile de faire faire la guerre aux autres quand on est protégé par 6000 kilomètres d’océan de chaque côté de son territoire.
En bref, les morts d’Ukraine, qu’ils soient russes, ukrainiens ou même mercenaires étrangers, ne coûtent rien au camp occidental. Notons en passant qu’il n’en est pas de même pour les Russes qui se battent avec leur propre argent, leurs propres armes et leurs propres hommes. Eux ne feront pas le voyage pour rien.
Par conséquent, la paix dépendra de trois facteurs:
1. Combien de temps les ukrainiens seront capables d’endurer des pertes? Rappelons que l’Ukraine en est à sa neuvième vague de mobilisation.
2. La patience des Russes. Combien de temps Vladimir Poutine acceptera-t-il et pourra-t-il se permettre de fermer les yeux en considérant les frappes les plus spectaculaires comme des frappes ukrainiennes et non “otaniennes”?
3. Combien de temps les Américains trouveront la guerre assez « juteuse »?

Les Russes ont prévenus, le président Poutine l’a répété encore aujourd’hui, ils sont prêts à négocier. Cependant ils ont aussi prévenus que la question territoriale serait gelée dans la situation au moment où débuteront les négociations. N’oublions pas que le Président Poutine a, le 30 septembre dernier, engagé sa crédibilité en promettant aux quatre territoires nouvellement rattachés à la Russie que cette mesure était irréversible. Cela peut donc difficilement entrer dans les objets négociables.
Une chose toutefois pourrait peut-être permettre des négociations de paix: Les États-Unis semblent entrer dans une crise politique dont ils ont le secret. Les Républicains n’arrivent pas à se mettre d’accord sur un nom pour présider la Chambre des représentants. Si à la faveur d’une crise interne les Américains qui ont d’autres chats à fouetter pouvaient (on peut rêver) commencer à s’occuper de leurs oignons au lieu d’attiser le feu en Ukraine, et que parallèlement, l’offensive russe tant attendue, y compris par les médias occidentaux, permettait une évolution décisive, probablement que les principaux protagonistes pourraient s’asseoir autour de la table. Restons optimistes.
Jacques Frantz

2 commentaires

  1. Cette excellente série est un trésor de repères pour qui, comme moi, ne connaît pas tous les ressorts de ce conflit; La nouvelle du jour, assez peu encourageante il faut bien le dire, est la réponse ukrainienne à l’offre de cessez-le-feu obtenue de Vladimir Poutine par le chef de l’Église orthodoxe à l’occasion des fêtes de Noël : « Gardez votre hypocrisie. » Sauf si effectivement les rapports de force évoluaient brutalement en défaveur de l’homme qui joue du piano debout (et ce disant je m’exprime en termes courtois), le forçant de fait à négocier, cela augure plutôt mal de la suite…

    1. Chère Isabelle,
      Tout d’abord merci de ton commentaire et de ta fidélité. Cela ne m’étonne pas car cette fidélité ne se dément pas. Merci ensuite du caractère élogieux de ton commentaire. Tant mieux si ces articles peuvent être utiles à une compréhension d’un conflit assez compliqué.
      Le rejet par les autorités ukrainiennes du cessez-le-feu proposé par le Président Poutine n’est pas étonnant et ce à plusieurs titres:
      D’abord il faut savoir que le conflit s’étend aussi aux questions liturgiques. En effet, l’Église orthodoxe ukrainienne, pour se démarquer du patriarcat de Moscou (trop proche du Kremlin à son goût), et pour suivre la politique d’enracinement dans la sphère occidentale, souhaiterait célébrer Noël le 25 décembre comme le reste de la chrétienté. Il faut comprendre que les orthodoxes russes célèbrent eux aussi la fête de la nativité le 25 décembre. Sauf qu’ils utilisent le calendrier Julien qui marque 12 jours de retard sur notre calendrier Grégorien. Il faut savoir qu’en Russie, (Ukraine comprise), le calendrier Grégorien n’a été utilisé comme calendrier civil qu’après la prise de pouvoir des bolchéviques. L’Église, n’ayant plus, ni de près ni de loin part aux affaires de l’État, elle n’a pas suivi la réforme. Donc, par tradition, Noël est fêtée par les orthodoxes le 7 janvier. Ainsi, en Russie, les congés de fin d’année commencent juste avant le nouvel an pour se poursuivre avec Noël.
      Donc Kiev a deux raisons de rejeter la proposition de cessez-le-feu: l’autorité ukrainienne veut marquer sa différence en ne faisant pas du 7 janvier un jour sacré, et puis de toute façon, Kiev (en réalité l’OTAN) ne veut pas de cessez-le-feu.
      La Russie fait sans cesse des propositions de cessez-le-feu et de négociations. Elles sont systématiquement rejetées par Kiev, Bruxelles et surtout Washington en accusant la Russie de demander une trève à cause de la pression militaire intense à laquelle elle serait soumise. De surcroît, l’objectif de Kiev reste le recouvrement de ce qu’elle considère être son intégrité territoriale. Par conséquent, seule une avancée décisive de l’une ou l’autre des parties au conflit sera de nature à débloquer la situation avec à la clef, d’éventuelles négociations.
      JF

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