La politique française ça fonctionne un peu comme une horloge avec un balancier bien huilé et bien réglé. A croire qu’ils ont fait faire ça par un horloger suisse. Du grand art je vous dis.
En réalité, l’horloger s’appelle François Mitterrand. Après avoir fait entrer en masse l’équerre et le compas au sein des plus hautes instances de la politique française, il entrepris dès son élection un savant travail d’horlogerie dont le résultat fut une pendule dotée d’un balancier qui met en mouvement tel un coucou suisse la fausse alternance.
Voici comment ça fonctionne: D’un côté il a ratiboisé à gauche en faisant des communistes des faucons bien dressés qui viennent manger dans la main des socialistes leur part de gamelle. Le véritable événement de 1981, ce n’est pas le 10 mai comme on veut nous le faire croire, mais le 26 avril. En effet, au soir du premier tour de l’élection présidentielle en France, le score de George Marchais est historiquement bas. Jamais le Parti Communiste Français ne s’en relèvera. Il ira jusqu’à disparaître des écrans radars de l’élection présidentielle de 2012, préférant faire un bon score avec Mélenchon plutôt qu’envoyer un vieux cacique au casse-pipe.
A droite, c’est encore plus subtil. Mitterrand a une carte en or. Cette carte s’appelle Front National. La structure existe, elle et en état de marche et repose sur les épaules d’un homme charismatique qui a réussi à fédérer les composantes de ce qu’il est communément mais abusivement appelé l’extrême droite. Seulement il ne manque qu’une chose à M. Le Pen, ce sont les voix. IL fera un score ridicule en 1974 et sera écarté en 1981 faute des 500 signatures désormais nécessaires pour se qualifier. Du reste, Le Pen prétend toujours, peut-être à juste titre, que cette mesure a été prise pour lui nuire.Je pense pour ma part qu’on ne prête qu’aux riches.
Le premier tremblement de terre a lieu en 1983 où à Dreux, le FN allié à la droite remporte la mairie. Mitterrand va jouer à un jeu d’horloger qui fonctionne encore aujourd’hui. Il va d’un côté favoriser le FN avec un coup de pouce médiatique, et d’un autre côté orchestrer une véritable entreprise d’enfumage par une diabolisation qui rendra impossible toute alliance. Ainsi, avec un Parti Communiste ratiboisé sur sa gauche et un FN qui sert de repoussoir et en même temps d’élément affaiblissant pour la droite il crée une espèce de balancier qui va faire alterner au pouvoir une social démocratie et une libéral démocratie à la manière des Américains, des Allemands de l’ouest et j’en passe. Depuis l’horloge tourne comme une horloge si j’ose dire.
L’avantage de ce système est qu’il verrouille parfaitement le jeu démocratique. Parce que la démocratie on veut bien jouer le jeu, mais à condition de ne jamais perdre. Déjà en 1981 une grosse alerte avait sonné avec la candidature de Coluche. Si ça avait amusé le populo ça n’avait pas du tout fait rigoler les politiciens du système de droite comme de gauche car Coluche était susceptible de prendre des voix partout. Heureusement, si j’ose dire, le verrouillage des 500 signatures avait fonctionné pour lui aussi. Et c’est depuis lors que l’horloge fonctionne sur un modèle parfaitement régler.
Ainsi, comme on le sait, la priorité d’un élu c’est d’être réélu. En verrouillant le système de la sorte, ça permet au mieux une réélection, et au pire une traversée du désert très réduite puisqu’il faut attendre les prochaines échéances et l’alternance quasi inévitable pour être réélu. Dès lors qu’une réélection est à peu près assurée on a moins de comptes à rendre à l’électeur et on peut faire à peu près n’importe quoi puisque le choix est tellement restreint. C’est ainsi qu’on a vu apparaître les affaires des années 80 qui ont vu des hommes politiques de gauche comme de droite confondre l’argent public et l’argent privé, truquer les appels d’offres publiques, et mettre la main dans la caisse jusqu’au coude en rigolant à la face du citoyen scandalisé. On peut citer pour mémoire pèle-mêle les affaires Urba, Carrefour du développement sans oublier toutes les histoires de la mairie de Paris. La gauche est empêtrée dans une salle histoire, on nomme un juge hargneux, les médias s’en amusent et au bout ça aboutit à un procès fleuve avec des peines avec sursis dans le pire des cas et des relaxes dans le meilleur. Pourtant la belle mécanique de François l’horloger va se dérégler un peu.
En 1995, chirac est élu malgré la présence d’Edouard Balladur que Mitterrand lui avait mis dans les pattes en le nommant premier ministre de la deuxième cohabitation. Après une période de sondages prometteurs où les journalistes qualifiaient Baladur et Delor au second tour de l’élection présidentielle, Chirac est triomphalement élu devant un Jospin servant de faire valoir. On se souviendra qu’à l’époque le président était élu pour 7 ans, les sénateurs pour 9 ans et les députés pour 5 ans. Ainsi, les législatives ayant eu lieu en 1993, l’écrasante majorité de droite était élue jusqu’en 1998 soit à mi-mandat à peu près du président Chirac. Les caciques du RPR ayant eu peur du retour de balancier de 1993 et donc d’une râclée par la gauche ont demandé et obtenu la dissolution en 1997. Et là, patatras c’est la gauche qui l’emporte forçant Chirac à cohabiter avec Jospin. Pour les caciques c’est un drame. Pour Chirac c’est une aubaine. Cela lui permet de faire porter la responsabilité de tout ce qui se fait par son premier ministre Jospin, tandis que lui voyage, inaugure les chrysanthèmes et jouit de l’immunité pour les frais de bouche, les emplois fictifs et j’en passe. A l’aube de l’an 2000 il propose de réduire le mandat présidentiel à 5 ans. Ainsi on élit président et députés dans la foulée ce qui réduit les risques de cohabitation. Génial! Les Français vont se faire avoir dans les grandes largeurs en plébiscitant la proposition de loi soumise à référendum. Pourtant l’horloge se met à déconner une première fois en 2002. Ce n’est pas Jospin qui va servir de faire valoir à Chirac pour être réélu, mais Le Pen. Chez Jacques et Bernadette on jubile. Cinq ans d’immunité de plus c’est toujours bon à prendre. En plus la gauche est obligée de voter pour lui pour faire barrage à la bête immonde. Pour que l’horloge continue de fonctionner malgré la lepénisation des esprits il faut inventer le front républicain. Sauf qu’à force de passer alternativement à l’heure d’été et l’heure d’hiver l’horloge finira par s’user.
En 2007, Sarkozy balaie la menace Le Pen en adoptant le même discours. Les gogos se laissent avoir en disant que puisque c’est quelqu’un du système qui promet une politique de droite, autant assurer et ne pas disperser les voix vers un Le Pen marginalisé et diabolisé. Sitôt au pouvoir Sarkozy siphonne la gauche (du moins le croit-il) en nommant Kouchner et Besson.
Comme on le sait, en 2012 ce n’est pas Hollande qui est élu, mais le petit Nicolas qui est battu. Le report des voix de droite ne se passe pas bien et patatras il est renvoyé avec sa Carlita biberonner dans ses pénates de luxe. Sauf que pour Hollande, être élu par défaut pose un problème: il n’y a pas d’état de grâce. Résultat tout déconne. Le front républicain prend l’eau de toute part, la droite pour la première fois depuis presque 30 ans descend dans la rue et s’en donne à coeur joie sur internet. Bref, le balancier se dérègle. L’horloge n’est plus à l’heure. Même le FN qui, tel un coq gaulois chante les deux pieds dans la merde malgré une défaite honorable, mais une défaite quand même à la législative partielle dans l’Oise, pourrait voir les choses lui échapper. La droite bien élevée et propre sur elle descend dans la rue. De son côté, le pouvoir, conscient de son illégitimité, flipe et étale sa faiblesse en réprimant une poignée d’homophobes réac et ridicule qui ont failli gâcher aux Japonais leur promenade du dimanche sur les Champs-élysées.
Alors que reste-t-il au printemps français? Eh bien il lui reste à dire à tous ces politiciens, FN compris, dégagez! Je suis certain que c’est une lame de fond européenne qui va déferler. Dehors!
Jacques Frantz!