Ukraine: Poutine déroule son plan

Eh voilà, comme on pouvait s’y attendre, Vladimir Poutine a décidé hier de reconnaître l’indépendance des républiques auto-proclamées de Donetsk et Lougansk. Sur un plan formel, c’est méconnaître les frontières internationalement reconnues de l’Ukraine, et la suite ne fait aucun doute : la Russie va aller mettre de l’ordre dans cette région, ce que la population, excédée par les vexations multiples et les violations à répétition du cessez-le-feu dont elle est victime depuis la signature des fameux accords de Minsk dont tout le monde se réclame, mais dont tout le monde se fiche comme d’une guigne, en particulier l’Ukraine, réclamait depuis longtemps et accueilli dans la liesse hier soir.
Parce que oui, on a beau dire et beau faire, les habitants du Donbass sont avant tout de culture, d’histoire, de sang russe et accessoirement de religion orthodoxe, et oui, que ça plaise ou non à Biden, Macron et tous ceux qui se sentent agressés – les pauvres chéris! – par la Russie que l’OTAN enserre pourtant inexorablement depuis des années, ces régions sont totalement tournées vers la Russie. Alors que les accords de Minsk, signés notamment par l’État ukrainien et les deux républiques concernées, mais pas par la Russie qui n’était qu’observateur, conféraient en principe une large autonomie auxdites républiques, avec notamment la possibilité d’employer librement la langue russe dans tous les échanges, le gouvernement central ukrainien s’est évertué à faire voter des lois nationales qui allaient exactement dans le sens contraire : recul du russe dans l’administration, l’éducation et autres.

Le discours de Poutine d’hier soir, qui a duré pas loin d’une heure et que j’ai écouté dans sa langue originale, outre qu’il était dense, structuré et même poignant à certains moments, s’est ouvert sur un long rappel historique des événements successifs qui, depuis la Révolution bolchévique de 1917, ont conduit à l’inextricable situation que nous connaissons aujourd’hui. Sans complaisance envers ses prédécesseurs rouges, Poutine a montré comment l’évolution des contours des frontières au mépris des réalités ethnoculturelles, mue par l’autorité implacable d’un pouvoir qui ne demandait rien à personne, puis l’exacerbation des mouvements nationaliste dans un État déliquescent, ont conduit à l’émergence de revendications nationales qu’il serait impossible de satisfaire pleinement sans violence.
En résumé, le communisme, après avoir fait des millions de morts, a laissé des bombes à retardement qui n’en finissent pas d’exploser, et je crains qu’on soit encore loin d’en avoir fini.
Cette situation appelle de nombreuses remarques, mais je n’en retiendrai que quelques-unes.
Premièrement, qualifier, comme l’ont fait certains hier soir et aujourd’hui, le discours de Poutine de paranoïaque témoigne d’une méconnaissance complète, feinte ou réelle, de la complexité de la situation. Certes, Poutine a exposé la situation telle qu’il la perçoit, telle que son pays la vit. Mais la Russie est bien plus qu’une entité géopolitique et militaire. Elle est le fruit d’une longue histoire, un peu comme l’Europe d’ailleurs, mais qui des dirigeants d’Europe occidentale se soucie d’histoire aujourd’hui, si ce n’est pour s’en repentir ou carrément la réécrire ?
Deuxièmement, nos dirigeants prêtent à Poutine et aux Russes une mentalité d’assiégés, alors que dès son arrivée au pouvoir, Poutine a tendu la main à l’Occident, notamment avec les accords OTAN-Russie et même des velléités d’entrée dans l’Union européenne. Conscient de notre histoire commune, c’est vers nous Européens qu’il s’est tourné d’abord, avant de finalement se retourner vers la Chine, las d’être ostracisé par l’Occident.
Troisièmement, Poutine, en joueur d’échecs avisé, reste maître du jeu. Il va aller mettre de l’ordre dans le Donbass, en cassant le moins possible puisque c’est lui qui devra reconstruire, et finira probablement par annexer la région. Quant à l’OTAN, elle prendra des sanctions qui se retourneront essentiellement contre elle. L’Europe devra acheter son gaz trois fois plus cher aux Américains, la Russie développera son propre système de règlements bancaires internationaux en remplacement de SWIFT et poursuivra la dédollarisation de ses échanges. À en croire le spécialiste de géostratégie Xavier Moreau, le seul levier sérieux qui reste aux Occidentaux est celui des semi-conducteurs, à condition de persuader ces commerçants dans l’âme que sont les Taïwanais de mettre la Russie sous embargo, mais les Chinois sont sur le point de rattraper leur retard et pourraient bien sous peu damer le pion à ce voisin qu’ils convoitent tant.
Et après ? Je ne suis pas Madame Soleil, et quand on fait la guerre, il y a par définition beaucoup d’éléments imprévisibles. Ainsi, on n’est pas à l’abri d’un dérapage plus ou moins voulu des autorités de Kiev qui aurait pour effet d’entraîner la Russie au-delà de ce qu’elle prévoyait de faire. Jusqu’à Kiev ? Je pense que la Russie ne le souhaite pas, mais si la résistance est trop virulente, la manœuvre se révélera peut-être judicieuse.
Enfin, je m’amuse depuis longtemps déjà de voir ceux qui, chez nous, dans leur jeunesse instrumentalisée par le KGB, manifestaient contre l’installation des fusées américaines Pershing en Europe face à l’Union soviétique alors qualifiée de pacifique par les mêmes quand elle envahissait l’Afghanistan, ceux qui manifestaient contre le nucléaire dans le seul but de retarder les programmes d’armement nucléaires occidentaux dans la concurrence avec l’Est, défendre aujourd’hui bec et ongles l’ouverture de l’OTAN à l’Est face à une Russie qui n’est plus idéologue, mais patriote. Dans cette affaire comme dans tant d’autres, il se pourrait bien que les vrais fauteurs de trouble ne soient en réalité ni les Russes ni les Ukrainiens, de la même façon que la Révolution d’octobre 1917 ne fut pas russe mais bolchévike et que le dépeçage de l’empire suite à son effondrement ne profita ni aux Russes ni aux Ukrainiens ni aux autres peuples. Poutine essaie de mettre de l’ordre chez lui, et c’est sans doute ce qui déplaît aux oligarques mondialistes de tous les pays qui, eux, sont toujours unis pour la bonne cause!

AdeMalte –

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